Primeurs 2022 : l'avis de Nicolas Guichard, oenologue consultant à Bordeaux.
La semaine des primeurs se termine à Bordeaux, il est possible d'en tirer les premiers enseignements. Tout d'abord, de manière générale, le boisé se fait vraiment plus discret dans les échantillons présentés. Au delà des différences de styles plus ou moins affirmées, 2022 ne préfigurerait-il pas ce qu'il nous attend à court puis moyen terme? Le changement climatique est un fait avéré pour qui travaille avec la nature et le vivant. Débourrement de la vigne plus précoce (et ses risques de gelées), vendanges également plus précoces avec des moûts plus riches en sucres (la chaptalisation fait presque partie des livres d'histoire) sont les signes concrets de l'évolution du climat. Mais il est un autre facteur qui a changé : l'eau et sa répartition annuelle. Le vin est une histoire d'eau. Un excès durant le cycle végétatif est souvent synonyme de risque d'une récolte insuffisamment mûre voir altérée par de la pourriture, un manque peut à l'inverse engendrer des blocages de maturation ayant pour conséquences des maturités aromatiques et phénoliques non abouties.
L'année 2022 a été marquée par une certaine sécheresse y compris sur la façade atlantique mais aussi par des températures diurnes et nocturnes bien supérieures à la moyenne trentenaire. A Bordeaux, les grands vins ont jusqu'ici été faits sur les terroirs filtrants capables d'évacuer rapidement les excès d'eau liées au climat océanique. Le futur ne serait-il pas aux sols capables au contraire de conserver une réserve en eau suffisante pour permettre à la plante de mûrir ses fruits même après une longue période sans précipitations? C'est à parier. Le calcaire, les argiles montrent qu'ils ont cette capacité.
Les dégustations du millésime 2022 font bien ressortir cette tendance. Evidemment, les vignerons peuvent agir en améliorant l'enracinement des vignes, en favorisant un meilleur complexe argilo/humique, en travaillant leurs sols. La vigne est une plante originaire de contrées semi désertiques, elle est donc capable de s'adapter à des climats arides. Mais, les facteurs liés à l'élaboration de grands vins restent particuliers et spécifiques. La vigne ne doit pas se retrouver en état de stress hydriques trop marqué entre la véraison et la récolte. Elle doit conserver un feuillage actif sans défoliation.
Au regard de ce constat, 2022 est dans beaucoup de crus un millésime ayant toutes les caractéristiques des grands millésimes pour les vins rouges. En blanc, une prime au calcaire semble se dessiner. Mais attention, un grand millésime tel qu'il a été défini, est un millésime apte à donner des vins rouges capables de vieillir plusieurs dizaines d'années tout en se complexifiant et sans se décharner. Or, qui aujourd'hui achète du vin pour le consommer dans 20 ans? Plus grand mode. Les grands millésimes ne sont pas toujours ceux qui donnent des vins suffisamment gourmands pour être appréciés très jeunes par les consommateurs non amateurs de grands vins de garde. 2022 fait par endroit exception à cette règle. Les tanins tout en étant concentrés n'en sont pas moins déjà très veloutés.
2022 préfigure sans doute les grands millésimes du changement climatique. Mais, encore une fois cela reste une histoire d'eau, même s'il n'en tombe que 30 ou 40% des années normales passées. Il faut que la vigne ne se retrouve pas trop "à sec" à partir de la véraison. Cela pourrait redessiner une partie de la carte des zones produisant des grands vins dans le futur.